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26 février 2013

Lost for words

Durant ces vacances de février où je ne fais activement rien, j'ai décidé que j'allais quand même publier toutes ces histoires qui me passent par la tête - j'en écris beaucoup, je les finis jamais, je trouve toujours que c'est nul alors je les montre jamais. Je pense que ça me passera très vite, mais du coup, vous étonnez pas si vous voyez apparaître des histoires comme ça sorties de nulle part, bientôt ce blog redeviendra un bon blog de plaintes poussées à leur paroxysme, comme il l'a toujours été.

Un petit nota bene : généralement j'écris tout d'un trait, je me relis pas, donc il y a souvent des répétitions, des incohérences, enfin c'est du boulot pas fini et bâclé comme j'aime les faire, c'est donc normal si parfois ça tient pas trop la route ou si le style est nul.

 

Une petite bouche pincée, un petit creux à chaque joue, une coupe au carré assez austère, délimitant aussi la petitesse de ses oreilles. Finalement, tout était assez petit chez cette infirmière, excepté ces gros yeux globuleux, qui parcourent d'un air inquiet une série de feuilles truffées de chiffes et de sigles auxquels je ne comprenais rien. Des yeux prêts à avaler chaque information. Ils se posèrent enfin sur une zone située sur son dossier. L'infirmière poussa un long soupir, puis commença à sériner avec sa voix de crécelle.

"Bon, alors, vous n'êtes pas de la famille mais personne n'est de la famille, ou alors sa famille est injoignable, ou alors elle n'en a probablement pas, le fait est que nous devons communiquer certaines informations à un tiers en raison de la gravité de la situation. J'ai donc besoin de savoir si vous êtes prêt à vous porter responsable de cette mademoiselle ? Vous la connaissez ? Plutôt bien ? Peut-être connaitriez vous des gens plus adaptés à la situation ?"

Ses gros yeux attendaient une réponse, tout comme le stylo qu'elle tapotait frénétiquement sur le bord du comptoir. Je répondis que j'étais un proche, plus à cause du stress engendré par ce bruit insupportable de stylo, et à cause de ces yeux béants qui semblaient vouloir me manger. Je ne faisais pas vraiment partie des proches de Tina, j'étais plus la bonne connaissance, celle à qui on raconte des secrets polis par la bienséance. J'étais malheureusement pas l'ami avec qui elle allait partager ses peines. Mais bon, apparemment personne n'était là pour elle, excepté moi, et je ne connaissais effectivement aucun membre de sa famille. Je décidai de prendre le relai, au moins jusqu'à ce que quelqu'un de plus adapté prenne ma place.

 

"Bien, je vous considère donc pour le moment comme personne responsable. Vous savez pourquoi votre amie est là, n'est ce pas ?

- ... Il me semble que c'était pour une opération bénigne non ? Enlever un truc dans sa poitrine ?"

Pas sûr que mon brillant non-vocabulaire médical joue en ma faveur.

"- Oui, si l'on veut, nous devions enlever un "truc" - l'infirmière mima les guillemets avec les mains, ce qui me donna l'envie immédiate de lui casser les poignets, mais je me calma. "L'opération de base s'est bien passée, aucune complication. Nous vous avons appelé pour autre chose."

Elle me sonda encore une fois avec son regard auquel rien ne semblait échapper. Elle devait sûrement me juger intérieurement. J'étais un peu débraillé, encore en jogging, avec mes Stan Smith aux pieds. J'avais renié mon rasoir depuis quelques jours. Mon T-shirt semblait propre, mais je ne me risquais pas à lever les bras - il semblait propre. Juste il semblait propre. Je comptais toujours sur ma bonne tête de gentil pour amadouer le reste des gens et leur faire croire que j'étais quelqu'un de plutôt sympa, peu importe mon apparence. Mais ça n'avait pas l'air de marcher avec MMe Oeil-de-lémurien. J'espèrais juste que je n'avais pas des restes de céréales coincées entre les dents. Dans le doute, je n'ouvris même pas la bouche pour lui répondre, et me contentai d'un "mmh mmmh", qui devait être assez encourageant pour la pousser à continuer, sans que je n'ouvre la bouche.

"-Donc, cette autre chose, vous n'avez aucune idée de ce que c'est ?"

Cette fois ci, j'optais pour un non de la tête. Encore une réponse sans ouvrir la bouche. Je devenais fort à ce jeu.

"Ok. Bon, alors pour faire court, disons que votre jeune amie ici a gardé précieusement tous les cachets de morphine que nous lui donnions depuis la fin de son opération, qu'elle a souffert en silence pendant quatre jours, et qu'elle les a tous avalés en même temps cette nuit, espérant ainsi mettre fin à ses jours. C'est Mme Lussy qui l'a retrouvée comateuse ce matin, à sept heures, lors du premier service de la journée. On prévient donc ses proches qu'elle tente de mettre sa vie en danger, pour qu'elle puisse bénéficier d'un soutien moral, et surtout qu'on la tienne éloignée de toute chose dont elle pourrait faire usage - objets tranchants, fenêtres, cordes, médicaments, drogues... Ne la laissez pas seule, mais ne tentez pas trop de l'étouffer non plus. Essayez de la convaincre d'aller voir un spécialiste. Nous la gardons encore une nuit en observation. Elle a vu le psychiatre d'astreinte, mais refuse de lui adresser la parole. En gros, on vous la confie, si vous pouviez joindre sa famille cela serait bénéfique pour vous."

Encore ses gros yeux. Je sentais qu'elle savait que je n'étais qu'à moitié compétent pour cette tâche, et que quelque chose, au fond de son âme, s'en délectait. Elle me considérai - à juste titre, néanmoins - comme un imposteur. Trop fier pour reculer, je lui réitérai mon soutien. Oui, j'étais proche de Tina, oui, j'allais l'aider.

J'essayai de remettre les éléments en place. Tina. Suicide. Responsable. Beuargh, trop de choses à ingérer dès le matin. Et je n'étais décidément pas la meilleure personne pour tout ça.

"J'imagine que vous souhaitez voir votre amie ?" Elle me fixait d'un air sournois. Elle ne semblait attendre que ça : mon entrée dans la chambre, Tina qui demandera à voix haute pourquoi je suis la seule personne ici, ou alors peut être qu'elle se mettra à rigoler. Ou elle me jettera juste dehors. Et là, Infirmière-lémurien se délectera de mon désarroi, et s'en ira en pensant intérieurement "je le savais, ils se connaissent à peine, j'avais raison !". Saleté d'infirmière lémurien.

Sérieusement, qui j'étais, au fond, pour venir la soutenir dans un moment pareil ? On avait partagé quelques moments sympas ensemble, on s'était fait quelques McDo de fin de soirée, on se pokait sur facebook. Gé-ni-al. La grande amitié. La seule raison pour laquelle je suis là, c'est qu'apparemment je suis la seule personne à avoir répondu au téléphone. L'infirmière appelait les derniers contacts utlisés sur le portable de Tina, et c'est moi qui ai décroché. Le loto de la vie. Maintenant, j'étais coincé, je m'étais d'ailleurs coincé tout seul comme un grand, j'allais pas repartir maintenant.

" -Oui, bien sûr que je veux la voir ! Pouvez-vous m'emmener auprès d'elle ?"

Sans le vouloir, ma phrase sonnait comme un défi. L'infirmière me décocha un "très bien" à peine marmonné dans ses dents, commença à déambuler dans les couloirs, évitant les vieux, le reste du personnel pressé, les personnes en fauteuils roulants, les chariots plein de matériel médical, évoluant ainsi dans son milieu naturel. Je traînais un peu la patte, et j'avais peur de me fracasser la gueule par terre en marchant sur mes lacets. La mini course s'arrêta enfin.

"-voilà monsieur, chambre 208, je vais vous annoncer à la patiente." Elle ouvrit avec une délicatesse impromptue la porte, et chuchota d'un air mielleux à Tina que j'étais là pour la voir. Je la fixai, et je voyais qu'elle attendait ce moment avec impatience. Elle demanda ensuite si elle souhaitait me voir. Le grand suspense. Mon imposture d'ami-proche allait tomber et Infirmière-lémurien se gargariserait de joie d'avoir eu raison. Je repartirais la queue abattue entre les jambes, comme un chien déçu et vaincu par un autre chien plus fort. Ici, spécimen incongru de Lemuridae à blouse blanche.

A ma grande surprise, Tina murmura faiblement qu'elle voulait bien me voir. J'adressai à l'infirmière un regard victorieux, et ce fut elle, qui repartit la queue entre les jambes.

Mais, fini les trivialités, j'étais maintenant dans une situation critique, que je n'avais absolument pas prévue dans ma vie. J'aurais dû me préparer à ce que j'allais lui dire, au lieu de me focaliser autant sur cette infirmière et notre bataille implicite. Pfff, décidément, j'étais sûrement la personne la moins adaptée à cette situation. Je ne savais pas quoi lui dire, et apparemment elle non plus. On est demeurés dans le silence pendant une bonne minute, ou deux. Minutes durant lequelles j'ai pu prendre le temps d'observer une Tina que je ne connaissais absolument pas.

Elle était blafarde, les cheveux lui tombaient dans les yeux. Elle était assise, les jambes allongées, dans son grand lit d'hôpital, immaculée de blanc - pyjama blanc, chambre blanche, draps blancs, peau blanche et pâle. Elle ne regardait rien, et, chose étrange, on arrivait à sentir sa contre énergie : l'énergie qu'elle déployait pour ne rien faire. Il y avait une réelle volonté de prostration, de force interne retenue, car elle était immobile, comme une statue, une statue grecque mélancolique, de marbre blanc, figée dans une expression de tristesse intense, et on sentait qu'elle était envahie par ce sentiment. Elle me semblait belle, étrangement.

C'était assez déstabilisant, car cela contrastait tellement avec la Tina de tous les autres jours. Une fille qui rigolait un peu facilement à toutes les blagues avec un rire débile, de grands yeux noirs pleins de... de choses, mais pas vides et loins comme ceux qu'elle arborait maintenant, dans cette chambre d'hôpital. Désincarnée. Une humaine déchue... Je décidai de briser le silence, de toute façon, je crois que je ne pouvais pas empirer les choses.

" - Je sais que tu t'attendais pas trop à me voir, et à vrai dire, moi non plus... D'où ma tenue super décontractée pour un moment pareil, mais désolé, je pensais pas avoir affaire à... euh... à ça. Si j'avais su, j'aurais au moins mis un t-shirt propre. Je t'avoue que je suis un peu désemparé, là, tout de suite... C'est toi qui leur a demandé de m'appeler ? Ou ils ont choisi tous seuls ? Tu n'avais pas mis de personne à contacter d'urgence ?"

Bravo, très malin, pointer le fait qu'on est totalement inapte à la situation au lieu de dire des trucs réconfortants du genre "tu manques à ta famille" ou "on aurait tous été très tristes si tu n'avais pas survécu", n'importe quelle connerie polie et gentille, mais pas ce ramassis de débilités que sérinait mon cerveau. Elle tourna faiblement la tête vers moi, et je crois qu'elle esquissa un demi sourire. C'était bizarre. Elle me répondit d'une voix longue, profonde, qu'elle n'avait donné de numéros à personne, qu'elle voulait que personne ne soit au courant, surtout pas sa famille, ou ses amis. Ce qui me plaçait donc dans le cercle des non-amis. Je décidai sagement de pas m'appesantir là dessus pour le moment - non, je n'allais pas prendre la tête à une fille qui venait de tenter de mourir en lui demandant pourquoi elle ne me considérait pas comme un ami.

" - Donc, tu voulais vraiment mourir... mais, pourquoi ? Peut-être que je connais pas assez ta vie et que tu vis des choses dures, mais bon, tu sais, mourir, c'est pas vraiment une solution, hein... C'est un peu comme vouloir se couper la tête pour éviter des migraines. Un peu trop radical, quoi...". J'étais pas peu fier de ma comparaison, qui, j'espérais, allait lui montrer à quel point son acte était illogique. Mais elle ouvrit la bouche, et elle commença le monologue le plus triste qui m'ait été donné d'entendre dans ma vie.

 

" - Je ne vis pas de choses particulièrement dures, et détrompes toi, je ne cherche pas non plus à mourir par tous les moyens. Je suis pas une vraie suicidaire - sinon, je serais morte depuis longtemps. Je ne cherche pas frénétiquement la mort. Je veux juste disparaître, en fait, peu importe la manière. J'essaye de créer mes propres opportunités pour mourir. Un peu comme un appel à l'aide, mais à la mort. Ca doit te paraître complètement con... Mais mon but c'est vraiment de disparaître, de mourir socialement, que l'on me laisse tranquille. J'ai fréquemment envie de m'enfermer dans un bunker et de ne jamais en sortir. Je ne supporte pas le monde, et je ne l'ai jamais supporté. J'ai un sérieux problème - et elle me regarda dans les yeux à ce moment. Je suis incapable d'apprécier la vie.

J'ai l'impression qu'on ne m'a jamais appris. Je n'ai pas de petites joies, je ne suis passionnée par rien, je me meût dans la foule, je vis, je sors, je travaille, mais je suis complètement éteinte, depuis des années. Je suis profondément triste. Je suis loin de tout, de toute vie "normale", j'ai l'impression d'être d'une autre espèce. Je n'arrive pas à me connecter aux gens. J'arrive pas à être intégrée, peu importe à quoi. Je me déteste, tous les jours. Je suis comme une grand mère aigrie, blasée de la vie, toute seule, sans amis, qui n'arrive pas à se regarder dans le miroir.

Je me réveille chaque matin en pleurant, parce que je sais que je vais encore vivre une longue, dure journée, dans laquelle chaque joie sera éphémère. Et ça sera comme ça tout le temps, toute ma vie, jour après jour, pendant encore quoi, une cinquantaine d'années ? 50 fois 365 ? Je suis un peu condamnée à faire la même tâche excécrable toute ma vie - vivre, alors que je n'aime pas ça.

Le pire, tu sais ce que c'est ? C'est d'essayer de partager ce mal-être avec le reste des gens, d'essayer de leur expliquer ce que je vis, chaque jour, et entendre ces mêmes gens répéter inlassablement des phrases bidons toutes faites telles que "mais ça va aller", "un jour tu verras la lumière", "si tu es malheureux c'est parce que tu regarde pas la vie du bon côté". Parce que personne ne comprends. Si, je regarde le bon côté de la vie, bien sûr : je suis plutôt en bonne santé, je suis pas moche, je suis pas un rebut de la société, je n'ai jamais tué personne, je fais un travail qui me plaît à peu près, j'ai de quoi vivre, des gens qui m'aiment, etc. Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que ça ne me fait ni chaud ni froid. Je regarde du bon côté de la vie, mais j'en tire aucune joie. Alors je vois pas ce que je peux faire d'autre.

On me traite aussi de pourrie-gâtée. C'est sûrement vrai. Pourquoi moi aurais-je cette stupide envie de mourir alors que tant d'autres se battent pour vivre ? Tu sais que parfois je me surprend à changer de vie ? Je m'imagine, je sais pas, comme un enfant africain qui doit se battre pour survivre, comme un handicapé qui rêverait de pouvoir marcher, comme une jeune fille atteinte d'un cancer qui doit résister, encore et encore. Et tu sais, ça me rend encore plus triste, parce que je me rend compte que je jalouse ces gens. Ces gens qui ont une raison de vivre, qui ont une lueur d'espoir, qui en veulent. Alors que moi, je suis juste une pauvre fille qui n'a aucun problème excepté celui là : je n'aime pas vivre.

Des gens ont déjà essayé de m'aider, mais c'est comme si je les avais entraînés au fond, avec moi. Je suis un peu comme un parasite qui s'accroche et qui prend l'énergie vitale des gens.

J'ai l'impression d'être handicapée à ma manière, d'être engluée dans l'anhédonie. J'ai tout essayé, les psys, les médicaments, le sport, la méditation, le yoga, les voyages, trouver un hobby intéressant, l'amour, les meilleurs amis, tout, mais rien ne semble m'aider. Je sais bien que c'est anormal, mais j'essaye, à mon échelle, d'y faire quelque chose. Et c'est encore plus déprimant de voir que peut importe tes efforts, au fond de toi, rien ne change, c'est toujours le même nuage sans fin. Les gens me disent que je n'essaye pas assez. Que si je le voulais vraiment, je serais heureuse.

 

Et je crois bien que je ne suis pas assez forte pour ça. J'essaye vraiment, de tout mon coeur, mais personne ne me croit. C'est sûrement ma faute si je n'arrive pas à aimer le bonheur, je suis juste trop faible, et je suis lasse d'essayer, tout simplement.

Alors non, je n'ai pas forcément envie de mourir, je veux juste que ça s'arrête, qu'on me laisse tranquille, moi & ma mélancolie, parce que je ne sais pas d'où ça vient, et malgré mes efforts, je n'arrive pas à la faire partir. Elle fait partie de ma vie. Et je sais que je parle comme une adolescente de 14 ans, mais j'ai toujours été comme ça - à 10 ans, à 14, à 25, etc. Je vis dans un éternel recommencement de douleur morale, sans aucune idée de comment l'arrêter, seule, et la société me rejette parce que malgré tous mes efforts je n'arrive pas à y faire face.

J'aimerais bien être heureuse, mais je n'y arrive tout simplement pas, et je me sens très conne de pas savoir comment faire."

 

Elle avait débité ces phrases sans aucune pause, comme si qu'elle attendait que ça soit son moment - le moment où elle pouvait se justifier. Des larmes couraient le long de ses joues pendant qu'elle parlait, mais je ne crois pas qu'elle s'en soit rendue compte. Là, je voyais la vraie Tina, désabusée, enfermée dans son monde triste, qu'elle s'était créé elle-même. Que vouliez-vous répondre à ça ? Moi, je ne savais pas. J'ai poussé un long soupir, et j'ai pris sa main. J'avais pas envie de lui répéter une autre phrase bidon, ou de lui faire la morale (elle se détestait déjà assez), ou de tenter de jouer sur la corde sensible, je n'avais aucun argument valable, et elle avait une réfléxion si poussée sur le sujet que de toute façon, je savais que je serais perdant. Alors je lui ai dit la première chose qui m'est passé par la tête : je lui ai dit que j'étais désolée pour elle. Elle s'est mise à pleurer - pour de vrai, cette fois ci. Et je disais rien. Juste je lui tenais sa petite main.

Puis on a parlé, longtemps, de plein de choses, je lui racontai comment j'aimais croquer dans une pomme bien verte et qu'elle devrait essayer. Qu'on lui construirait une cabane dans les bois où elle pourrait vivre seule. Que je deviendrais magicien et que je la ferais vraiment disparaître, un jour - à condition qu'elle revienne me dire comment ça fait. Qu'on ferait des vidéos pour les dépressifs, où elle expliquerait comment bien se suicider. Je sais pas comment la discussion était devenue aussi légère, mais finalement, j'avais passé un bon moment, et Tina aussi. Je suis revenue le lendemain la chercher, elle avait encore ce demi-sourire aux lèvres, mais c'était déjà ça, un demi sourire.

Elle m'avait promis de ne pas chercher activement la mort - c'est à dire, que lorsqu'elle "tomberait" par hasard sur une opportunité de mourir, elle ne la repousserait pas, mais qu'elle ne fera rien d'elle même pour la provoquer. Je trouvais que c'était déjà un début, et je me disais que des situations comme celles-là, il ne devrait pas y en avoir souvent. Par exemple, si elle devenait sacrément malade avec peu de chances pour s'en sortir, elle avait le droit de ne pas se soigner. Mais pas si elle était atteinte d'une maladie très largement curable. C'était un peu bizarre comme compromis, mais j'étais persuadé que ça allait marcher. Pour sceller ce contrat de fous, je lui avait offert une bague, un peu comme un engagement de non-mort l'un envers l'autre. C'était une petite bague, avec une croix dessus. Pas une croix religieuse, une croix comme un x, ou un +. Une petite croix, pour une petite bague, pour une petite main, pour une petite envie de mourir.

On était devenus très amis après ça, et, comme bonne blague, elle m'inscrivit comme "personne à contacter en cas d'urgence". On s'entendait vraiment bien, finalement. On se voyait souvent, elle avait toujours sa petite bague à sa main, elle ne la retirait jamais. Elle n'allait pas vraiment mieux moralement, mais au moins maintenant quelqu'un savait, quelqu'un la soutenait.

Les années ont passé, nous approchions tous les deux la quarantaine ; j'étais marié depuis peu, elle venait enfin d'achever un grand rêve - elle avait construit elle même sa maison, au milieu d'une plage déserte, avec personne tout autour. Elle a donc déménagé vivre toute seule dans son refuge. On ne se voyait plus tellement, à cause de la distance, mais on s'appelait toujours régulièrement, elle assista à la naissance de mon premier enfant. Jamais je n'aurais pu penser, à l'époque, dans mes Stan Smith crades, que j'allais me lier d'amitié aussi intensément avec elle.

Et puis un matin, comme tous les autres matins, je me suis réveillé, avec bizarrement des fourmillements dans le ventre. Je ne sentais absolument pas la journée qui allait se dérouler. J'ai embrassé ma femme qui m'ordonna de faire le café, vu que j'étais le premier levé. Je n'arrivais pas à me rendormir, de toute façon. Je me suis levé, avec un t-shirt qui me semblait propre, mes Adidas, un vieux jogging, et un pull à capuche. J'ai descendu les escaliers de ma maison, je me suis dirigé vers la cuisine, et le téléphone a sonné. Et j'avais le pressentiment que c'était ça, l'évènement perturbateur de ma journée.

 

"Allô monsieur ? J'ai le malheur de vous informer que Mme Fero Tina est décedée. Dans un accident de la route, monsieur. Apparemment, elle aurait perdu le contrôle de son véhicule, elle a heurté un arbre, ce qui l'a éjecté hors de la voiture, monsieur. Je vous appelle car vous êtes son contact d'urgence. C'est ce qui est marqué dans son portefeuille. Nous aurions besoin de vous pour identifier le corps, monsieur."

Tristement abattu par cette nouvelle, je laissai mon foyer en plan, pris ma voiture, et roula jusqu'à chez Tina. J'ai été reconnaître son corps à la morgue. Je me disais qu'elle avait été tout de même prévoyante, d'avoir laissé un "numéro de contact d'urgence" dans son portefeuille. Je songeai à faire la même chose dès que je serais rentré.

Je suis passée dans sa maison, pour tenter de trouver les numéros des gens de sa famille, ou d'autres amis, à prévenir. Sa maison était à son image : simple, vide d'objets inutiles. Une maison efficace. Avec de jolies couleurs. Mais une maison qui respirait la tristesse, tout était en exemplaire unique. Une seule tasse dans l'évier. Une seule petite cuillère sur la table. Une seule brosse à dent dans la salle de bain. Je me suis dirigée ensuite vers sa chambre.
 La porte grinçait un peu à l'ouverture. Et quand je suis rentrée, je l'ai vue. En plein milieu du lit, sur ses draps noirs, étincelait la bague à croix que je lui avais offert des années plutôt. Et je compris que ce n'était pas du tout un accident. Qu'elle savait que je comprendrais quand je verrai la bague. Bague qu'elle a posé en évidence sur son lit. Le numéro de personne à contacter d'urgence dans son portefeuille. Je me sentais terriblement abattu, et en colère, mais surtout, j'avais mal.

Je retournai la bague pour me rendre compte qu'elle avait modifié la gravure. Une ankh...


 

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