Et j'engagerai un ingé son juste pour régler mon sonotone

Hier on m'a fait écouter un rappeur qui a repris Light My Fire en mode gangsta. Malgré tous les arguments que l'adversité a tenté de me faire avaler ("nan mais Jim Morrison aurait trop kiffé, au contraire c'est un hommage, blablabla"), ça a titillé mon reflexe vomitif, et j'ai pas su quoi répondre à part "non mais personnellement je trouve ça extrêmement nul", comme ça, arbitrairement. Ca donne le ton pour le reste de cet aparté.

Les gens qui me connaissent savent que la musique c'est un peu ma colonne vertebrale. Ca me tient en forme et si j'en ai pas, je meurs. C'est ce qui me fait lever le matin (ça et mon petit déjeuner, of course). C'est l'activité de ma journée - je pourrais passer des heures avec des gros yeux de fantômes vidés et explosés par la lumière de mon écran LCD juste pour trouver MA musique de la journée, la petite pépite musicale qui me fait dire qu'aujourd'hui n'était pas si pourri. Je sors pas si j'ai pas mon MP3 (véridique). Je peux écouter la même chanson en boucle sans me lasser pendant des heures, jours, semaines, mois, années (ça fait maintenant à peu près 5 ans que j'ai pas décroché de ce fameux Rapper's Delight, ne parlons même pas de la chanson Paper boats). Les mélodies restent bloquées dans ma tête. Je les séquestre. Les paroles restent à défiler devant mes yeux, tout le temps, quand je dors, quand je mange, quand je suis en cours. Je les chante sans m'en rendre compte. Lors de la fièvre Alt-J, j'ai répété en boucle pendant bien trois mois "Please don't go please don't go, I love you so I love you so", passant pour une folle érotomaniaque dans les rues. Je chante tout le temps, en fait. J'invente les chorus des chansons qui en sont orphelines. Je réécris les paroles pour que ça me corresponde mieux. JE VOIS LES SONS. Je décompose chaque son dans chaque musique et je les vois. Vous voyez le clip de Gondry "Around the world", de Daft Punk ? Je vois à peu près les sons comme ça - des entités qui se déplacent à travers les ondes d'une manière spéciale, créant ainsi CE son en particulier. Oui, je suis un peu siphonnée, c'est pas très grave.

Parfois, dans l'univers, on a l'impression qu'une musique a été écrite exprès pour vous. Ou pire, par votre autre-vous, votre doppelgänger, votre jumeau maléfique, votre version qui vit dans un monde parallèle. Ca me rend dingue, c'est mon péché mignon, c'est comme mon shoot d'héroïne. Le genre de chanson où tu as l'impression d'avoir été guidée pour la trouver (bonjour je deviens mystique). Où dès les premières notes, les frissons courent sur ton épiderme. Où sans vérifier les paroles, tu sais que ça parle de toi, quelque part. Que ça t'es relié. Le moment où l'instru (même si c'est trois secondes qui tournent en boucle, on ne choisit pas son kiff musical) te domine, t'hypnotise, et toi tu la supplies de ne jamais, jamais, jamais s'arrêter. Tu vendrais ta mère pour quelques portées de plus, comme Iznogoud vendrait son âme pour être calife (à la place du calife. Et maintenant j'ai le générique d'Iznogoud dans ma tête, beuargh).

J'ai l'impression que le son, en rentrant dans mes oreilles, distille ses ondes partout dans mes veines, dans mon coeur, que ça emplit chaque recoin de mon cerveau, ça s'infiltre, et ça me met dans des émotions folles. Je pleure pas souvent (ou en fait si, ça dépend de la position lunaire) mais dès que la musique entre en jeu, c'est mort, je suis plus responsable de mes glandes lacrymales. J'ai envie que la chanson devienne vivante pour que je puisse pleurer à son épaule. J'ai envie qu'elle devienne ma pote. Hier j'ai pleuré parce que j'ai entendu une version de Stakes is High (qui est sortie le jour de ma naissance haha) de De La Soul avec un PUTAIN D'ORCHESTRE SYMPHONIQUE DERRIERE. J'ai pleuré comme une madeleine tellement que c'était puissant. C'est juste que c'est tellement fort que je suis obligée d'extérioriser ce qui se passe en moi. C'est fou, parce que je vois bien que très peu de gens sont pareils. Et j'imagine même pas leur vie. Ceux qui écoutent la radio par dépit (ne pas choisir ce que j'écoute et être à la merci d'un DJ blond platine qui a le QI de Ed dans Le Roi Lion, non merci). Ceux qui n'ont pas de musique dans leur voiture. Ceux qui prennent le train sans écouter. Ceux qui s'en foutent si Britney Spears reprend les Rolling Stones. Ceux qui me disent "mais calme toi, c'est qu'une chanson". J'ai envie de leur asséner des bons coups secs derrière la nuque.

Le problème c'est que, comme toute chose en excès, ça peut être mauvais. Genre si à une soirée j'entends ma chanson favorite d'IAM, je vais vous laisser en plan pour la chanter en entier, bouger ma tête en rythme (les bons reconnaîtront mon jeu de mot), ressembler à une autiste. Quand les gens me perdent en soirée, ils mettent à fond mes musiques préférées. J'accours, généralement. La musique m'a dressée. Putain. Je peux vous détester pour vos goûts musicaux. Ah oui, et je suis hipster de ce côté-là (allez y, jetez moi des pierres, j'assume), j'aime pas quand j'ai découvert une pépite et que tout le monde la reprend après. Parce que je sais que parmi la masse informe de moutons, peu apprécieront la musique autant que je l'ai appréciée. Beaucoup l'aimeront pour des raisons très justes mais jamais pour les mêmes raisons que moi. Pour les mêmes émotions que ça a fait jaillir en moi.

Ne me lancez jamais sur un sujet musical parce que je vais vous souler. Comme un gamin sera fier de vous montrer sa collection de ver de terre, je vais vous achever à coups de "et tu connais ça ? et ça ? et ça ? et ça ? et ça ? et ça ?", sans vous laisser le temps de réagir. En gros je suis vraiment une égoïste dans la musique. Je vais que dans mon sens. Je vis que dans mon monde et je supporte mal celui des autres. J'aime pas la soul, le groove, le funk ça dépend. J'aime pas le R'N'B (même le vrai des années d'avant), certains trucs d'électro me donnent envie d'égorger des hamsters (le boum-tchak pendant trois cent ans au début, j'ai jamais compris). J'aime pas quand c'est une meuf qui chante, j'aime pas l'auto tune, j'aime le rap agressif comme il faut, je déteste les poseurs, j'aime pas trop les cuivres (c'est ma famille d'instruments la moins aimée, j'ai l'impression qu'ils se la pètent -oui, j'ai l'impression qu'une trompette peut se la péter, je la considère comme Thomas O' Maley dans les aristochats, un peu pédant mais pas trop, histoire que tu deviennes son pote quand même. Voilà, je vois les cuivres comme ça. En plus Thomas O'Maley est roux. Promis je mets mon cerveau en off tout de suite) mais je reconnais que parfois ça déboîte. J'aime pas les boîtes à rythme. J'aime pas quand les DJs font tout par ordinateur. Et vu que je suis tout sauf logique, il y a beaucoup d'exceptions à tout ça. Je me damnerai pour la guitare classique, qui est l'un des instruments qui me fend le coeur à chaque fois.

J'ai tellement de souvenirs auditifs, j'ai l'impression que malgré mon oreille défectueuse, c'est mon oreille qui domine ma vie. Je me damne pour les concerts. C'est la seule chose pour laquelle je peux dépenser sans compter. Claquer 50e dans un concert juste pour voir UNE SEULE CHANSON ? Fait. Devenir groupie et voir plusieurs fois un même groupe en concert (non, je ne parle pas des Goulamas'K, les biterrois me comprendront) ? Fait. Flipper à mort juste à cause d'un son ? Reconnaître les musiques de ton ordi dès la première seconde ? Me sentir mal (mais vraiment mal, genre comme de l'angoisse) quand j'arrive pas à trouver une musique qui me plaît ? Parler en paroles de chanson ? Être inscrite sur rapgenius juste pour mieux comprendre certaines subtilités lyricales ? Recommencer la même chanson encore et encore et encore jusqu'à ce qu'elle m'appartienne ? Haïr sa vie parce qu'une pote est au concert de The Pharcyde ce soir ? Sortir un calepin au cinéma pour noter DANS LE NOIR toute la bande son ? Avoir envie de tuer Mr Aubert pour participer dans The Voice ? Devenir intolérante à la musique des autres ?

Bienvenue dans mon monde. Celui où depuis 20h23 la même chanson de The Roots passe en boucle, en boucle, en boucle, et je continue à la chanter, à la danser, à esquisser quelques larmes parce que pffff, le texte est magnifique, l'instru parfaite, le clip beau, et tout le reste qui n'est même pas exprimable mais qui donne des remous sévères à mon cerveau. Et non je ne suis pas folle. Juste un peu trop loin du reste du monde.