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5 septembre 2013

No room for doubt

LUI - J'ai été crétin de me faire gauler... voilà que je vais passer les dix prochaines années dans ce taudis, deux mètres carrés, une mini-fenêtre, un matelas rapiécé, qui pue le moisi. Un compagnon de cellule pas commode, qui a la tête aussi carrée qu'un mini-frigo. Les angles aussi anguleux qu'une équerre... et à la manière dont il me regarde, je sais que ça ne va pas être une partie de plaisir. Je vais morfler, je le sens. C'est qu'on aime pas beaucoup les types comme moi, en prison. Tuez autant d'hommes que vous voulez, vous êtes respecté. Volez autant que vous voulez, frappez autant que vous voulez... mais violez une seule fille, et vous subirez les pires traitements. Alors, quand on en a violé deux, plus deux garçons, tous issus de la même famille... Je vais vraiment pas faire long feu ici. La plus jeune était âgée de trois ans...

Pourtant, j'étais insoupçonnable. Je vivais au plus proche de cette famille, j'ai toujours dépanné les parents quand ils en avaient besoin. Et, croyez-le ou non, mais j'aimais ces enfants. Un peu trop, là est le grand malheur... Je sais bien que c'est pas normal, mais c'est plus fort que moi. Enfants, peu importe le sexe, l'âge... Enfin, pas les bébés tout de même. Et je ne sais pas pourquoi. Je ne suis pourtant pas mauvais bougre, tout le monde m'adore, tout le monde chante mes louanges. Les louanges d'Anthony, le garçon serviable, aimant, sympa... Quelques filles m'avaient surnommé l'Ange, peut être pour se faire remarquer pour entamer le début de quelque chose ? Mais si elles savaient...

Je ne les ai pas forcés. Si ils m'avaient dit non, j'aurais arrêté. Je ne veux pas faire de mal aux enfants. Je les aime. Et je ne suis qu'un pauvre type, au fond...

 

 

MOI -  C'était une soirée banale dans ma folle vie de jeune, des gens, de l'alcool, des relous, de la musique, des regards en coin, du vin par terre, des cendres dans l'évier, un posca qui marquait de sa trace indélébile des objets d'un énorme phallus, des gens à la diction imparfaite et egrenée de postillons, des mini-jupes, des talons qui s'affaissent, des chutes... A six heures et demie fin de partie, le noyau nucléaire de potos reste sur place à dormir, ceux qui sont trop embrumés pour repartir s'effondrent dans les canapés, le reste s'évacue non sans mal par l'entrée. Le noyau nucléaire de potes rigole, hahaha quelle bonne soirée, allez zou une série et au lit.

Je me couche à mon tour à côté de Méga-pote (tel est son nom), je me mets en position foetale, les coussins qui m'entourent (je suis obligée de m'endormir avec plein de coussins, c'est mon pillow-fort), j'ai la tête qui tourne un peu mais ça va, j'ai limité les dégâts, j'hésite à aller me brosser les dents pour enlever cette haleine de fumée (que je déteste), j'y renonce parce que j'ai bien trop la flemme mais je vais quand même ouvrir la porte au chat, je me recouche, re-position foetale, re-coussins, et les pensées qui vagabondent. Le tout sans bruit pour pas réveiller Méga-pote.

Je m'endors, et dans ma tête je commence à partir loin dans le glauque avec mes rêves - comme d'habitude. Donc je vois plein d'images. Des images pas cools. C'est flou, mais je sens que c'est mauvais. La lumière est jaune, c'est une chambre, avec un grand lit, des fleurs en papier peint. Un berceau sur la gauche. Il y a deux filles, elles jouent, l'une est à califourchon sur l'autre, qui est allongée sur le grand lit. Celle qui est dessus retient la petite fille d'en dessous, qui est d'ailleurs plus maigre qu'elle, les bras fermement retenus ouverts sur le lit. La petite fille n'a pas de défense, et se laisse faire. Elle subit...

 

ELLE - Cette fille qui est à califourchon sur l'autre, c'est moi. J'ai mon pubis contre le sien, et je fais des mouvements des hanches - bas, haut, bas, haut, comme on m'a appris. Je tiens les mains fermement, comme on me l'a appris. Et je continue jusqu'à ce que j'en ai marre. C'est pas l'autre qui m'arrêtera, elle est toute maigre et, de toute façon, ne raconte rien à personne. Je suis sa meilleure amie, alors je le sais. Elle est bien trop gentille, elle ne dénonce personne, elle a trop peur de ne pas être aimée, de ne pas avoir d'amis. D'ailleurs, elle n'en a pas, à part moi. Haut, bas, haut, ... Je la regarde, fixement, videment, car elle n'est rien, comme moi. Moi aussi on m'a regardée comme ça, alors je dois la regarder pareil. Je la regarde avec un oeil torve, qui veut dire que c'est moi la plus forte, et qu'elle n'est qu'un bout de chiffon. Il faut qu'elle le ressente, elle aussi, sinon, ça n'est pas juste. Elle aussi. Et cette fois ci, c'est moi qui ait le contrôle. J'espère que je le fais bien, j'espère qu'elle ressent les mêmes choses que moi...

 

MOI - FLASH. Cette petite fille, c'est moi. Je viens de voir mon visage sur celui de la petite fille. C'est moi, c'est moi... Je me lève en sursaut, le souffle coupé, je suis dressée comme un piquet de foot sur le lit, la main crispée sur les draps, l'impossibilité de bouger, et les images qui tournent dans ma tête, et les larmes, qui roulent, roulent, roulent toutes seules sur mes joues, et je ne peux les arrêter, je ne suis même pas consciente que je pleure, je vois juste ces images qui tournent en rond, et en rond, dans ma tête.

Et puis un grand BOUM. Pas un son, mais un grand boum dans mon coeur. Qui implose, qui s'effondre, et cette certitude, cette certitude qu'on ne peut pas enlever, qu'on ne peut plus enlever, indélébile. La prise de conscience, les poils qui s'hérissent, le souffle qui reprend, mais saccadé, les yeux fixés dans le rien - et de toute façon, on se regarde à l'intérieur à ce moment là, le reste n'a plus d'importance. Je me sens décomposée, en petits morceaux, et je ne peux plus bouger. Je suis là, assise, à pleurer, à réaliser, et je ne sais pas depuis combien de temps ça dure. En tout ça, ça réveille Méga-pote, qui me demande si ça va, alors je réponds que j'ai fait un cauchemar, je sèche les larmes de mes yeux - c'est bizarre comme devant les autres je cherche toujours à dire que ça va, je me retourne pour lui dire que c'est rien, que je vais me rendormir. Mais rien ne sort de ma bouche, j'ai l'air coi, j'ai l'air conne, je reste bloquée, et je pleure encore. C'est là que Méga-Pote se révèle à la hauteur de son surnom. Il comprend très vite que non, ça ne va pas, que ça ne peut pas aller... Et il tente de me faire parler, de savoir, pour pouvoir me réconforter par la suite. Sauf que de mon côté, ça ne sort pas du tout, du tout du tout. Je commence par lui dire que c'était pas un cauchemar, mais la réalité. Que je me suis rappelé un souvenir douloureux. Et il continue, à me brusquer, à vouloir me sortir les vers du nez, et moi, fidèle à moi-même, je me braque, je veux pas, je veux pas le raconter parce que le dire c'est l'accepter à tout jamais, alors que pour le moment, c'est dans un coin de ma tête - un coin insoupçonné que je n'avais pas vu depuis treize ans. Et c'était très bien comme ça.

Je revois les images et je suffoque, je me lève, j'ouvre la fenêtre, je pleure à grandes eaux maintenant, mon nez est bouché comme le périph' aux heures de pointes, je regarde le ciel, loin, haut, et je me répète pourquoi, pourquoi, et je me demande pourquoi maintenant, alors que j'ai passé une bonne soirée, que rien n'a amorcé ce souvenir... Je reste cinq bonnes minutes comme ça, et je devais parler toute seule, car Méga Pote m'oblige à me rallonger dans le lit, il me prend par les épaules, doucement mais en me laissant aucun choix, et je me retrouve allongée à côté de lui. Qui ne lâche pas l'affaire, qui me demande encore et encore ce qui ne va pas. Puis il me pose la question : Est ce que tu veux en parler ?

Et je lui répond que oui, mais que je n'y arrive pas, que je n'y arriverai jamais, je ne pourrais jamais prononcer ces mots, ces mots que d'ailleurs, je n'écris même pas. Alors il tente une technique différente, il posait des questions, et je répondais par oui ou par non, et petit à petit, j'ai réussi, j'ai raconté, pas dans les détails, mais le nécessaire, le nécessaire pour accepter que ça m'est arrivé, à moi. Et il me prend dans ses bras, me dit que ça va aller, que c'est passé, que c'est loin déjà et que je me suis bien construite malgré ça. Que j'ai géré, en gros, j'ai occulté pour ne pas savoir. Et il me parlait d'autre chose. D'autres choses pour me montrer que la vie continue.

 

Et beaucoup de choses prennent sens dans mon esprit - mon mal chronique à lier des relations, mes choix sexuels, ma passion pour la criminologie, ma peur que les gens me touchent si je n'en ai pas envie, mon DEGOÛT pour l'oubli... Je me suis construite en parallèle, et je ne sais pas si c'est vraiment moi.

Deux jours après et un millier d'excuses à Méga-Pote pour le dépôt de trois tonnes cinq de mucus sur son lit, je me suis regardée dans le miroir. Je me suis dit qu'il fallait que je me fasse confiance, enfin, que c'était à mon tour maintenant, merde. Que si mon cerveau me l'avait révélé maintenant, c'est que j'étais prête. Que je ne pouvais rien faire contre cette fille, qui fut jadis ma meilleure amie, car ce devait être bien pire pour elle encore. Elle ne s'en est jamais remise, a pris énormément de poids, a commencé à fumer trop tôt, une fille qui fuit, partout, même sa personnalité se fait la malle par ses pores, la dernière fois que je l'avais vue, j'ai eu pitié d'elle, elle que je trouvais si forte quand j'étais enfant, qui était populaire... elle n'est plus que l'ombre d'elle-même, et aux dernières nouvelles, elle a eu un enfant récemment, à 21 ans. Pas de formation, rien. Je crois qu'elle ne savait pas ce qu'elle me faisait. Elle voulait juste refaire, avoir le contrôle, voir comment c'était quand on est celui du dessus. Une manière enfantine de surmonter, elle a fait comme elle a pu.

Comment pourrais-je une seule seconde lui en vouloir.

Et je repense à Anthony, au fait qu'il paye, lui aussi, il a été condamné et je ne peux rien faire de plus, il a été reconnu coupable. Je peux lui en vouloir inutilement et gâcher de l'énergie pour rien, me détruire pour rien, me construire une Nemesis pour rien.

Ou je peux faire ce que j'ai toujours fait de mieux, réfléchir, et tenter de comprendre POURQUOI. Et comprendre qu'il y a les gens mauvais, foncièrement mauvais, et les gens qui souffrent. Et de me rendre compte qu'il faisait définitivement partie de la seconde catégorie, car non, ça n'était pas un mauvais gars, au fond.

Alors je pardonne. Je lui pardonne et je me remercie de ne pas m'être laissée tomber, je remercie je ne sais quoi, je ne sais qui, mon cerveau peut-être, qui a réussi à digérer une info comme celle ci en peu de temps. Et je n'ai plus de colère.

 

Je fais mon deuil, j'en pleure encore, mais je ne pleure plus contre moi ou contre eux. Je pleure le monde, je pleure la méchanceté, je pleure le malheur, je pleure pour elle, qui a été brisée et je pleure parce que j'ai eu de la chance et que c'est injuste, et je pleure parce que je suis impuissante. Et je me dis que si je m'entête à dire que je suis une grosse merde, depuis autant de temps, ça n'est qu'encore une stratégie de mon cerveau pour me préserver de la grande vérité : ce n'est pas moi qui a un problème, c'est le monde qui est malsain. C'est le monde qui est méchant, et je ne peux rien y faire. Et j'avais besoin d'ancrer tout mon pardon par des mots dans la réalité, pour être en paix à tout jamais.

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PURE EVIL je vous l'avais dit

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