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5 mars 2018

Let me be the last to say, please don't stay.

Je ne sais même pas comment vraiment commencer cet article, je sais juste que je ressens vraiment le besoin d'en parler. 

Les attentifs ont pu remarquer que les deux derniers posts n'étaient pas vraiment positifs - et pour cause, je n'étais pas du tout positive. Mais avec le recul, je crois pouvoir expliquer ce soudain retour en arrière dans mon mental, ma régression vers le mal. 

J'ai appris, il y a cinq mois, qu'une ancienne amie d'enfance a été assassinée par son copain. Battue, torturée, assassinée, et violée, pour être exacte, car je ne veux pas qu'on oublie ne serait-ce qu'une partie de son calvaire. Elle n'est pas juste morte, sa vie a été enlevée d'une manière horrible. 

Elle a vécu un certain temps dans notre famille, durant quelques mois, sa famille ayant des difficultés de logement. Ils arrivaient directement d'Algérie, ils venaient de se convertir au christianisme. Ma mère, chrétienne, et fréquentant activement l'église, a décidé de les aider.J'ai vécu aux côtés d'Halima, mais surtout avec sa soeur, Amina, qui avait un âge plus proche que le mien. Je vous raconte ça, mais vous savez, j'ai des souvenirs tellement flous de cette période. Je me souviens juste qu'à l'époque, j'étais pas forcément heureuse de partager mon logement avec deux autres personnes (ça voulait dire que j'allais dormir avec ma petite soeur et que j'allais perdre une certaine intimité). Je sais que c'est stupide, mais je m'en veux tellement d'avoir ressenti ça désormais. 
Bref. 
Je me rappelle d'elles, de leur famille, de leur bataille pour vivre une vie meilleure, en France, en accord avec leurs convictions religieuses. 
L'été dernier, ma mère a déménagé, et on a fait le tri dans toutes les photos qu'elle possédait. J'en ai retrouvé certaines d'Halima et d'Amina, elle portait même mes vêtements parfois, et je me suis demandé naïvement ce qu'elles devenaient.

La vie étant ce qu'elle est, quelques mois plus tard, je reçois un article de journal sur Facebook, d'une amie d'enfance de Limay. On allait à la même école, et vu qu'Halima vivait chez nous, elle était scolarisée dans la même école que nous. Cette amie m'envoie cet article, horrible, en me disant qu'elle se souvient d'Halima, et qu'elle est vraiment choquée. Et, vraiment, je comprends pas sur le moment.

J'ouvre l'article, et je vois sa photo. Déjà, beaucoup de souvenirs affluent. Et puis arrive l'horreur, l'horreur de lire son calvaire, de voir ce qu'elle est devenue.


Elle a vécu une nuit de calvaire. Elle a été fouettée. Sept côtes cassées. 81 lésions sur le corps, donc 15 au visage. Elle a été violée. Puis étouffée.  Son calvaire existait déjà depuis des années, en fait.  Elle est morte il y a déjà 5 ans. Notre famille prend connaissance de ce drame seulement maintenant, via cet article de journal. On a déménagé il y a environ 15 ans de Limay, et personne dans nos contacts parisiens nous avait prévenu. En même temps, c'est pas quelque chose qu'on s'empresse de raconter. 

Je n'ai pas de mots - il m'a fallu déjà cinq mois pour essayer d'en parler maladroitement ici - pour décrire ce que ça m'a fait. Pour exprimer réellement ce qui s'est passé en moi, à ce moment là. J'ai eu du mal à lire l'article jusqu'au bout, tellement que je pleurais, je criais en même temps je crois.  J'ai annoncé la nouvelle à ma mère, qui a crié aussi au téléphone. J'imagine même pas sa douleur : elle, elle s'en rappelait parfaitement d'Halima. Elle l'avait accueillie comme sa fille au sein de notre famille. Elle était beaucoup plus proche de ses parents que je ne l'étais. 

Je bloque pour écrire ce que je ressens. Je sais que les mots ont un certain pouvoir, le fait d'écrire, souvent, veut dire que j'accepte, et je n'ai aucune envie d'accepter ça. Aucune envie d'accepter que c'est réellement arrivé. Aucune envie de me dire que j'ai connu quelqu'un qui a été victime de violences innomables. Aucune envie d'accepter que ça soit arrivé dans ma réalité. Et pourtant. 

Depuis Octobre, je vois son visage tous les jours. Souvent, quand je prends ma douche, quand je suis seule, j'ai envie de pleurer, et parfois je pleure. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je lui envoie mes pensées. Alors que je ne crois pas au paradis, ni à l'enfer, je sais très bien que mon comportement n'a aucun sens. Mais je peux pas m'en empêcher. Je peux pas m'empêcher de me dire que quelque part, elle sait que je pense à elle, et que je ne l'oublie pas. De me dire qu'elle est mieux où elle est actuellement, au moins, personne ne lève la main sur elle. Je continue à lui dire que je suis désolée, que je suis tellement désolée, désolée qu'elle ait traversé autant d'épreuves, pour avoir une meilleure vie, et finalement se faire faucher par un être humain que j'ai même pas envie de mentionner. Je n'arrive pas à la laisser derrière. Je n'ai tout simplement pas envie qu'on la laisse derrière. Je n'ai pas envie de m'habituer à penser que c'est la vie, c'est comme ça. Je n'ai pas envie de m'habituer à son absence.

C'est là, en fait, où j'ai mis du temps à me comprendre. J'ai eu l'impression que c'était une de mes soeurs qui était morte au combat.
Je sais, ça peut paraître débile dit comme ça. 
Surtout quand je ne me souviens pas clairement de moments passés avec elle.
Surtout quand je n'ai pas eu de nouvelles depuis quinze ans.
J'ai eu l'impression que ma réaction était disproportionnée, démesurée.
Je me suis sentie coupable de ressentir autant de peine -- c'était surtout le fait de penser que sa famille a du ressentir ma douleur fois mille. 
Je me suis sentie coupable de ne pas aller mieux, de ne pas faire preuve de plus de parcimonie dans mes réactions. 

J'ai fait des cauchemars, pendant une semaine, environ. J'ai eu la nausée durant trois jours, je n'arrivais pas à manger. Je suis partie la voir à Paris, parce que j'avais besoin de la voir, de me recueillir, je crois pour me rendre compte que c'était réel. J'ai eu les dents serrées pendant tellement de temps. Un pote m'a fait une blague, de me dire "je vais te tordre le cou", et j'ai fondu en pleurs. Je bloquais en regardant des ceintures (elle a été fouettée avec une ceinture, "jusqu'à ce que le médaillon soit tordu"), et j'y pensais.  J'ai bu, et j'ai fumé, parce que je ne voulais pas vivre ça, je crois.
Et, toujours, cette culpabilité, mon cerveau qui me répétait que j'en faisais trop, dans ma douleur. 

Mais pour moi, tout ça était tellement nécessaire, et j'en pleure toujours. 

Alors j'ai lentement compris pourquoi je me sentais comme ça : c'est tout simplement parce que ça me rappelle de très mauvais souvenirs. Je n'ai jamais été battue de cette manière, mais j'ai vécu au contact d'une personne que je considère comme psychopathe, insensible au sort des autres, et à leur souffrance. Cette personne a été violente -- envers des meubles, envers des murs, parfois envers ma mère, parfois envers moi, parfois envers ma soeur, mais rien, rien de semblable, et je le sais.

Mais justement. J'en ai tellement souffert. Ca m'a empêché de vivre correctement, d'avoir été victime de violences (je n'ose même plus dire ça désormais, j'ai l'impression de mentir). Ca m'a tellement fait souffrir. C'est définitivement l'une des raisons pour lesquelles j'ai été au plus bas pendant si longtemps. 
Alors, j'ai eu trop d'empathie pour elle. Tellement d'empathie, de savoir qu'elle a vécu dans la peur, dans ce climat de violence. 
Et je suis en colère, je suis tellement en colère, que ça lui soit arrivé. Le peu que j'ai vécu, je ne le souhaite à personne, tout en sachant très bien que le mal continue à sévir dans l'ombre. 
J'ai de l'empathie pour les enfants (qui étaient présents durant sa mort). Je suis tellement en colère pour eux, je n'arrête pas de me demander ce qu'ils vont devenir. Est-ce qu'ils vont réussir à vivre heureux, en harmonie avec les autres ?
Ou est-ce que leurs relations vont être viciées de manque de confiance, tâchées de dégoût envers le reste du monde ? 

Et, au dessus de tout, aussi bête que cela puisse paraître, je me sens coupable.
Je me sens coupable d'avoir survécu à mes violences, en fait.
Je me sens coupable d'avoir passé autant de temps à me plaindre sur ma vie.
Je me sens tellement coupable d'être toujours là, je me sens coupable d'avoir eu de la chance d'être tombée sur de bonnes personnes dans ma vie. 
Je me sens coupable d'avoir eu un premier copain qui m'a vraiment aimée, et d'avoir su être correctement aimée par la suite.

Mais j'ai eu tellement de chance, de sortir de cette relation abusive, et d'avoir su faire la différence par la suite entre véritable amour et possession. 

Elle est morte lorsqu'elle avait 24 ans. Mon âge. Ce qui rend la chose encore plus dure, en fait. Parce que ça aurait pu être moi, vraiment. J'ai manqué d'amour, dans ma vie, au point de faire des choses vraiment stupides. 
Alors pourquoi tout ceci ne m'est pas arrivé ? 
Pourquoi j'ai eu de la chance, pourquoi elle non ? 

J'ai souhaité mourir, un million de fois au moins, parce que j'estimais que ma vie était trop dure. Je ne sais pas ce qui lui passait par la tête, mais le soir de son calvaire, elle a trouvé la force d'aller nourrir ses enfants dans la chambre, entre deux sévices. Je ne sais même pas par où commencer, pour décrire la force qu'elle a eu. Je n'aurais pas eu cette force -- je ne l'ai jamais eue, et j'ai même pas assez d'amour en moi pour vouloir faire des enfants. 

Et c'est ça, je crois, qui me fait mal chaque jour. Je vois son visage, et je pleure, parce que ça me rappelle ma propre incompétence. Mon incompétence à prendre ma vie en main et à perdre du temps sur mes sentiments négatifs, quand une autre personne n'a pas eu la chance que j'ai eue.

Et je reste paralysée depuis. 

Il reste encore des choses dont je ne me suis pas remise. Notamment la condamnation à 30 ans de réclusion, pour une personne qui a trois chefs d'accusation (torture, viol, et meurtre). Ca fait 10 ans par chef d'accusation. C'est rien.
Quand j'ai lu tout ça, j'ai eu envie qu'il meure. J'ai eu envie qu'on le dépèce, pour qu'il se rende compte du mal qu'il a fait. Qu'il se rende compte qu'il a franchi des limites qu'aucun être humain aurait du franchir. 
Et je sais que j'ai tort. J'ai voulu faire de la recherche pour trouver un meilleur moyen de réhabiliter des prisonniers, j'ai voulu (et je crois, que quelque part, je le veux toujours) comprendre ce qu'il se passe dans la tête de ces psychopathes, juste pour pouvoir tenter de pardonner, ne serait-ce qu'un peu. Au mieux, trouver une manière pour que cela n'arrive plus jamais. C'est vraiment une des choses qui me faisait vivre : traiter l'autre d'une meilleure manière qu'il nous traite. Non pas pour tendre bêtement l'autre joue, mais pour ne pas faillir à un niveau inférieur. Avoir sa dignité, en tant que personne, de mieux réagir, avec moins de violence, avec plus d'amour, justement quand cela coûte beaucoup d'en avoir. 
Mais là, j'avais tout oublié. J'avais oublié toutes mes convictions. J'ai juste de la colère. Et de la fatigue, de voir des choses pareilles arriver, inlassablement, autour de moi.

C'est une deuxième chose, avec laquelle j'ai du mal actuellement : j'ai l'impression que la vie me nivellera toujours par le bas. J'aurais beau avancer, j'aurais beau essayer de faire quelque chose de positif dans ma vie, d'essayer de contrer mes pensées négatives sur le monde : c'est inutile. 
Mon monde, à moi, depuis petite, est rempli de violences, différentes mais toujours bien présentes. De pédophiles aux violences conjugales à la violence psychologique, j'en suis malade, en fait, de tout ça. Ca m'a pourri pendant tellement de temps -- 21 ans de ma vie, pour être exacte, ou au moins, c'est la sensation que j'en ai. Là, vraiment, j'avais l'impression d'aller vers un mieux. Et, en fait, je retombe dans ma dépression, parce qu'il y a cette petite voix en moi, qui me chuchote que le monde est vil, le monde est méchant, plein de négativité, et que je ne sers à rien. Je suis insignifiante dans cette marée de mal, alors pourquoi continuer ? 
Quand quelqu'un est heureux, et qui me dit que la vie sur terre est belle, je reconnais sa version des choses, et j'ai tellement envie de lui dire que c'est facile à dire, que c'est biaisé comme point de vue.
Je m'en veux d'exprimer de la jalousie envers les personnes heureuses, et même si désormais, je sais que je ne changerai ma vie pour rien au monde, je le ressens, ce petit pincement au coeur, qui me rappelle continuellement que j'ai juste eu l'impression d'avoir été pillée de ma joie en continu. 

Comment croire qu'il y a du bon en chacun de nous, que la vie est belle, quand à chaque moment de mon existence, le macabre me rappelle à l'ordre ? 

Et je retombe dans ma culpabilité, de ne penser qu'à moi, qu'à mon malheur, et je reste encore paralysée... 

 

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Pour ce que ça vaux, Halima, je suis désolée. Je suis désolée d'en faire une affaire personnelle, et de ne penser qu'à mes petits malheurs, alors que de ton côté, cela fait 5 ans que tu nous a quitté. Je suis désolée de ne pas savoir vivre à la hauteur de ma chance, et de me laisser bouffer par ton passé, alors qu'on t'a ôté ton futur. Je suis désolée qu'une telle violence soit encore possible dans notre monde, sans aucune autre raison que celle d'être une femme. Je suis désolée de ne pas te faire honneur. Je suis désolée de me plaindre, continuellement. J'espère me remettre en selle d'ici peu, et inverser la tendance, de laisser un peu de ma faiblesse pour m'inspirer de ton courage. 

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