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20 janvier 2016

Infamous Date Rape

Laissez-moi vous conter ma mésaventure de la journée. Je travaille depuis peu (et j'ai déjà été plus ou moins virée) dans un call-center tout ce qu'il y a de plus chiant, aucun débouché, aucune possibilité d'évolution, aucun effort à faire dans le travail, excepté se concentrer très fort pour ne pas laisser ces paupières succomber au sort de la gravité. Donc, en gros, je suis plantée devant un PC toute la journée, dominée par un logiciel qui m'assigne des appels si je le veux ou non, avec comme vague mission de guider des clients supposés être intéressés par nos voyages, avec en but ultime un envoi de devis.  La vie de rêve. 

Aujourd'hui, j'ai eu un client qui, disons-le sans ambiguïté, s'est masturbé sur mon appel. Il y a eu plein de signes qui auraient pourtant dû m'alerter, tel le petit poucet des obscenités il me demandait si il était possible d'avoir une formule intensive, à trois reprises, en me répétant que ma voix était charmante, le tout couplé à des petits râles de plaisir digne d'un adolescent observant pour la première fois une poitrine attachée à un reste de corps vivant et consentant, en intermittence avec des sons d'un gars qui utiliserait sa pompe à vélo dans son bain moussant. Il m'a fallu le temps bien trop long de deux minutes pour subodorer le malaise, et raccrocher maladroitement en lui signifiant que je rappelerais la semaine prochaine. C'était un sentiment super étrange, à mi-chemin entre le vide que j'ai ressenti la première fois que j'ai ouvert un livre de Marc Lévy et l'énervement que j'aurais subi si j'avais effectivement acheté l'un de ses bouquins au cours de ma courte existence. J'ai enchaîné sur l'appel suivant, qui n'a pas répondu, et puis je me suis mise en break, le temps de réaliser que d'un coup, j'étais super vénère, le type de colère qui monte seule, qui s'exacerbe une fois à l'écart dehors, et puis je pleure, et je suis énervée de nouveau. Je suis, en vérité, très remontée contre moi-même, parce que j'ai été trop lente à la détente pour réagir. Et je suis énervée parce que je comprends pas pourquoi je réagis comme ça. Il ne m'est, au fond, rien arrivé de grave, donc ça devrait être plus ou moins OK au niveau sentiments & self-control. Je suis énervée d'être énervée (un grand classique des personnes ne maîtrisant jamais ses émotions), énervée de voir que ça m'a touchée à ce point, énervée de me rendre compte que putain, je suis quand même bien trop sensible.

Je suis énervée, parce que quand j'ai commencé à expliquer ce qu'il m'est arrivé à un collègue, il a souri et il a ri. Ca n'était pas méchant du tout, c'était spontané, et ça m'a énervée parce que c'est la réaction que j'aurais dû avoir. Que j'aurais aimé avoir.

Je suis énervée parce que quand j'ai expliqué tout ça à mon boss, il m'a gentiment expliqué qu'il avait vécu pire, bien pire dans sa vie, et que dans la vie, il y a un bouton on : ça ne tient qu'à moi de l'allumer. Que bon, y'a plein d'appels à passer quand même Tahra, tu fais chier de partir. Je suis énervée parce que je suis sortie de son bureau en m'excusant d'avoir réagi en pleurant. Je suis partie survoltée et j'ai tenté de comprendre pourquoi j'étais aussi sur les nerfs. Il m'est aussi arrivé pire, bien pire dans la vie. J'aurais pu envoyer bouler ce type en deux-deux comme Dieu a décidé de faire le ménage en ce début d'année 2016. 

Il y a deux choses : la première, c'est qu'on m'a utilisée pour une action que je ne cautionnais pas. Sans me demander, sans que je ne le sache, sans mon accord.  C'est ça qui n'est pas passé du tout. C'est ce que je déteste le plus dans l'espèce humaine : quand l'un d'entre nous fait passer ses besoins au détriment de quelqu'un d'autre. En général, ça me gonfle, du connard qui va se garer sur une place handicapée aux génies modernes du mal (bonjour Martin Shkreli). D'autant plus quand cela me concerne.

D'autant plus sur ce sujet là, qui reste assez sensible chez moi (comme tout le reste, me direz-vous : je suis à l'effigie du macaron, un coeur fondant entouré de deux génoises plus ou moins sèches). Je me prends déjà pas mal de réflexions quant à mon style vestimentaire (je suis du type jupette et robes de soirée, vu que je ressemble déjà à Fifi Brindacier grâce à ma gueule de gosse j'essaye de passer pour une femme le reste du temps)(vous le voyez, là ? cette justification pourrie que je suis en train de faire au lieu juste de m'habiller comme je le veux ?!), je me suis prise pas mal de réflexions quand j'étais ado, par des mecs mais surtout par des meufs, et de la part de ce paternel parti qui m'a considérée comme putain dès le moment où j'ai eu des eins. Je vais pas dire que c'est un combat quotidien parce que ça ne l'est pas. Mais ouais, quand je mets une mini-jupe, je sais que je prends le risque de me taper plus de réflexions désagréables. Là où c'est un combat, par contre, c'est de voir à quel point cela joue dans mes relations masculines : je suis toujours ultra-méfiante sur leurs attentions. On me l'a déjà fait, le plan "je-te-fais-la-bise-mais-en-vrai-je-tente-le-baiser", d'amis à qui tu n'avais rien demandé. On me l'a déjà fait, le plan "je-te-mets-mes-mains-sur-tes-hanches-histoire-de". D'amis, toujours. On se demande pourquoi je hais les boîtes de nuit. Je n'aime pas que l'on me touche. Oui, même vous, mes amis. Parce que je me demande toujours si vous m'appréciez plus facilement parce que je suis pas moche. Je me demande toujours si je suis un espèce de plan de secours, sur un malentendu ça peut marcher, tout ça parce que je choisis de m'habiller en dénudant mes jambes. Parce que j'aime bien me sentir jolie. Je me déteste tous les jours, ça m'aide quand je me sens bien dans ma peau. 

Et qu'on ne se méprenne pas, je m'en tape qu'on me regarde dans la rue, je réponds merci aux compliments si j'en entends, ou je souris, je suis gentille, je vais pas me vexer pour de la merde. Mais je veux pas sentir de la pression dans le regard, je veux pas sentir le regard d'un gros dégueulasse, car y'a bien deux poids deux mesures entre un type qui te regarde parce que t'es joli, et celui qui te désire au dessus de la bonne conduite. Quand j'avais quinze ans, j'attendais à un arrêt de bus et un vieux monsieur se masturbait dans le buisson d'en face. Je suis partie sans rien dire, mais j'ai passé toute ma journée à cogiter. Comment devais-je le prendre ? A quel moment commence la vie privée de ce monsieur ? Je comprends l'envie, aussi basique soit-elle, mais n'aurait-il pas été mieux qu'il fasse ça au calme, chez lui ? Sans m'infliger cette vue-là ?

Alors, j'ai compris ce qui m'avait réellement dérangé dans cet appel. Ce qui m'a dérangé, c'est qu'il mixe son envie privée à ma vie publique. Je veux dire, était-il vraiment obligé de se secouer sur-le-champ ? N'aurait-il pas pu attendre un petit peu plus, histoire de pas m'infliger de force ces sons ? Et c'est là que la comparaison avec le viol se vaut : mon droit de ne pas participer n'a pas été respecté. Et j'ai rien pu faire. Et ça me rend dingue de me dire que j'ai été assez débile pour lui parler pendant deux minutes.

La seconde chose qui ne m'a pas aidé, ça a été la réaction de mon boss et de l'entourage masculin autour de moi, qui n'ont absolument pas pris ça au sérieux. Qui ne comprenait pas que ça puisse m'atteindre à ce point. Je veux dire, j'avoue que c'est une histoire marrante et d'ici quelques temps, j'en rirais aussi, y'a pas mort d'homme. Juste une petite mort d'homme (vous voyez). Mais j'aurais aimé qu'on me dise "putain Tahra, ça craint, prends un peu de temps histoire d'exorciser tout ça" avant "hahaha désolée je peux pas m'empêcher de rire c'est trop drôle et forcément que ça t'arrive à toi vu comment ta vie c'est de la merde". OUAIS.

Y'a quelques années, il m'était arrivé une mésaventure similaire dans la rue, en rentrant de soirée un type avait décidé de se masturber sur ma personne (je devrais en fait les pourchasser comme des papillons et les éventrer dans un bestiaire), que j'avais raconté ici.

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Je rentre de soirée, j'écoute Blur, je suis à trois minutes de chez moi, personne ne me suit, mais je repense tout de suite à une phrase d'une très bonne amie "s'il n'y a personne qui te suit derrière, ça ne veut pas dire que personne ne t'attend devant".

http://paperboat.canalblog.com

 

Là, j'avais eu la sympathie de tout le monde. Pourtant, la situation n'était pas si différente. Il m'avait pris le bras, donc il y avait eu contact physique, mais ça c'était arrêté là parce que j'ai riposté. Et même si il ne m'avait pas pris le bras : je suis SÛRE que l'histoire n'aurait pas fait marrer son monde. 

Alors, c'est quoi la grande différence entre les deux mésaventures, pourquoi l'une fait rire, et pourquoi l'autre non ? Bah c'est la proximité physique. Dans le premier cas, j'étais à des milliers de kilomètres de l'autre personne et mon intégrité physique n'était pas en danger. Dans le second cas, c'est la même chose (le type se branle sur moi sans mon avis), me fait aussi des commentaires lourds, mais a la possibilité de m'atteindre physiquement, ce qu'il fait dès lors que je l'envoie balader. Donc en gros, l'intention a été la même dans les deux cas.  Et c'est ça que je comprends pas : pourquoi je devrais accepter le premier cas et pas le second ? Si j'avais commencé à rire devant ce type qui se masturbait, il serait pas venu super vexé et n'aurait-il pas eu la même réaction ? Si ce type était en fait quelqu'un que je connaissais, qu'il savait où j'habite, est-ce qu'il serait pas venu se venger car vexé ? Est-ce qu'il va pas en profiter, un jour, une fois qu'il verra à quel point c'est facile d'imposer sa volonté à l'autre, de manière beaucoup plus triste ?

Se branler au téléphone, sur quelqu'un qui ne le veux pas, c'est pas un viol, ça le sera jamais. Mais faut qu'on se pose les bonnes questions : c'est quoi, pour vous, un viol ? C'est un acte forcé ?

Parce que dans ce cas, cet appel téléphonique est un viol, parce que j'étais forcée de l'appeler dans le cadre de mon boulot, et il a effectué son acte d'onanisme sans mon consentement en m'utilisant.

Est-ce qu'un viol, c'est la pénétration seulement ? Dans ce cas, si un type force un-e autre type à juste le lécher, c'est pas un viol ?

Est-ce qu'un viol, c'est dans la conscience d'être violé ? Dans ce cas, si le type s'était fait discret, ça serait passé crème (blanche, la crème) ? Dans ce cas, est-ce qu'un viol sur personne comateuse est réellement un viol ?

Est-ce qu'un viol, c'est dans la réaction de la victime et de l'entourage ? Si les autres disent que c'est un viol, alors c'en est-un ? Dans ce cas là, quid du viol conjugal, qui n'est que trop peu passé sous silence ?

Est-ce qu'un viol, c'est la proximité physique entre deux individus ? Dans ce cas, si un type pirate ma webcam et se branle sur moi, c'est pas un viol ?

Réfléchissez à ce que c'est, un viol. Pour moi, c'est l'abus et la violation de la sphère privée de l'autre à but sexuel. Donc non, ce que j'ai vécu n'était pas drôle. Je suis déjà super cynique sur la vie en général, je rigole de plein de choses, surtout de moi-même parce que c'est comme ça que je m'accepte, mais ne venez pas rigoler à ma place sur des sujets que je trouve grave. 

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J
Cela ne donne pas envie de bosser dans un centre d'appel...
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