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23 novembre 2014

Sometimes, I go out by myself, and I look across the water

Je suis dans un drôle d'état aujourd'hui, une petite boule de nerfs qui tremblote partout en observant l'immensité du ciel. Pour ceux qui ne le savent pas, je reviens actuellement d'Irlande (trois petits jours, ce fut vraiment vraiment trop court) avec potesse Sarah, et nous avons arpenté chaque jour les variétés de paysages que ce magnifique pays avait à nous offrir. Se retrouver face à un brouillard aussi épais que le gras de Joël Robuchon peut prêter à la réflexion, croyez moi. Se retrouver avec des falaises aussi magnifiques que le dernier épisode de Viking vous fait ressentir comme un ver de terre. Ingurgiter des litres de Guinness fait marcher votre ciboulot sur de tous nouveaux circuits aussi. Ce fut un voyage très chaotique (en trois jours, on a tout de même parcouru 1403 kilomètres), où nos seuls repères furent les pubs & leurs prises et wifi. Pour tout le reste, nous étions aussi sauvages qu'un mash-up de Kirikou et Mowgli, à base de dreads, une hygiène peu recommandable, des repas succints trouvés dans la nature, pauvres, à poser notre regard perdu sur chaque parcelle de trottoir afin d'y trouver miraculeusement un billet. Et tout cette épopée s'est finie hier soir, en rentrant à la gare de Groningen vers neuf heures du soir, dans notre froid habituel. Tout ça pour ne pas retrouver mon vélo, déprimer sévère sévère, et rentrer à pattes.

Après un coma de 14h (j'ai enchaîné des nuits à 2/3h de sommeil afin de concilier visites touristiques et ingurgitation massive de Kilkenny), me voilà réveillée, chez moi, et toute bleue de bizarrerie à l'intérieur. Je me sens fébrile, comme si j'étais souffrante, mais je n'ai aucun actuel symptôme de maladie. J'ai envie de me terrer au plus profond de mon lit et de dormir pour un second round de 14h (et je sais que je pourrais y arriver tranquillos). Et je me sens triste.

 

C'est à peu près le même rituel après chaque voyage qui me choque. Après chaque voyage où je m'en prends plein la vue, existe toujours cette insidieuse remise en question. C'est juste que voyager et voir d'autres choses me permet de prendre un maximum de recul sur toute la vie que j'ai, d'habitude. Je réalise qu'il y a tant d'endroits sur Terre que je n'ai pas vu. Tant de nouvelles choses à voir, de nouvelles manières de vivre, tant de langues à parler, à écouter. Tant de personnes à rencontrer, tant de rues, tant d'atmosphères différentes pour chaque endroit sur Terre, le monde est tellement riche, vaste, et merveilleux, que ça me fait ressentir aussi importante qu'une tâche de peinture dans une oeuvre de Yeats (je suis tombée amoureuse de Yeats en Irlande. Scotchée à ses tableaux j'étais). Et c'est merveilleux.

C'est merveilleux tant que tu vis à l'intérieur de ce flot incessant de nouveautés ; c'est merveilleux quand tes yeux se posent pour la première fois sur une portion inconnue du monde, quand ton regard rencontre pour la première fois une nouvelle culture, c'est comme un tout premier baiser avec un nouvel amoureux, on ressent les papillons dans le ventre, on observe tout autour de nous, on en veut encore, on en bave, on sent l'énergie puissante et forte que ça nous procure, dans chaque recoin de notre corps. Face aux falaises de Howth, quand tu regardes dans l'étendue du Pacifique venant se frapper tumultueusement contre des rochers qui ont été là depuis des milliers d'années, la seule pensée qui peut traverser ta tête est "Putain, que la vie est magnifique". Me confronter à des paysages aussi majestueux, et emplis de vies, me fait ressentir terriblement sereine. Je me sens félicitée, bénie d'être là, à ce moment, sur Terre. J'ai l'impression que j'ai un tête à tête avec l'histoire de la vie, et ça me rend folle de joie. C'est la même sensation quand tu marches dans une rue qui t'es inconnue, que tu entends un artiste de rue chanter Wish you were here des Pink Floyd : au final, tu n'es pas seule, et il y a tellement de choses qui transcendent l'humain, qui nous rassemblent. Je suis accro à cette sensation : bousculer mes habitudes, créer de nouvelles connexions neuronales dans mon cerveau. Je me pose quelques secondes, et à la manière dont j'aurais créé un nouveau fichier nommé "Irlande" sur mon PC, je crée une nouvelle zone "Irlande" dans mon cerveau. Voilà, j'aime apprendre, avoir de nouvelles choses, et voyager est encore la manière la plus vivante de le faire.

 

Mais plus haut est le bonheur, plus dure est la chute. Aujourd'hui, le contre-coup a été un peu dur à digérer. Après autant d'émotions et de beauté, j'ai du mal à redescendre de mon brouillard rêveur. Après tant de sensations nouvelles, ma vie me semble fade à côté. Et en face de paysages aussi saississants, la remise en question est, elle aussi, insidieuse : quelle est mon importance ? Quel est le but de la vie, est-ce vraiment devenir chercheuse en psychologie et se prendre la tête sur quel traitement statistique appliquer à mon nouveau design expérimental ? Ne suis-je pas en train de rater la vraie nature de la vie : se jeter dans le vide et espérer que tout aille pour le mieux ? 

Il faut bien entendu relier toutes ces pensées à mon tempérament : je suis obsédée par la nouveauté. Je hais les habitudes. Je déteste tourner en rond. Alors forcément, quand j'ai l'occasion d'aller visiter quelque chose de nouveau, j'y consacre 100% de mon cerveau. 100% de mes capacités. J'essaye de tout absorber comme une éponge, je m'émerveille à chaque nouvelle chose que je vois, même si cette même chose ne casse pas trois pattes à un vélociraptor - c'est nouveau, ça suffit pour être beau à mes yeux. Rajoutez à ça mon hyper-activité habituelle digne de Gordon Ramsay sous amphétamines, et vous pouvez avoir un mini-aperçu de toute l'adrénaline que je ressens lorsque je m'approprie quelque chose de nouveau.

Alors après s'être pris autant de stimulations dans la face, je me sens maintenant comme une pornstar émérite à la retraite : comment combler ce trou béant ? A quoi vais-je consacrer ma vie maintenant ? Comment retrouver ces magnifiques sensations ? Comment me contenter à nouveau  de ce que je connais déjà ? Comment forcer mon cerveau à aimer de nouveau mes habitudes ?

D'un autre côté, ma raison m'assiège de jugements pas très sympas, m'informant que tout de même, j'exagère : je me suis expatriée à mille km de chez moi pour vivre quelque chose de nouveau, justement. N'était-ce pas déjà suffisant ? J'ai même pas fini de créer mes habitudes néerlandaises que je veux déjà repartir à l'aventure. Est ce que je pourrais pas, juste pour deux secondes, me contenter de ce que j'ai ? Et en profiter ? Pourquoi suis-je comme ça, à courir éternellement après ce que je n'ai pas ? Pourquoi je suis insatiable ? Pourquoi puis-je assimiler autant de nouvelles choses et aimer ça à ce point, alors que la plupart des humains sur cette Terre n'ont pas besoin de tout ça ? Pourquoi ne puis-je pas voyager comme tous les autres, de manière posée, réfléchie, peaceful, au lieu d'agir de manière erratique, à courir partout, sauter, à faire des décisions irréfléchies, impulsives ? Pourquoi suis-je un chaos ambulant ?

Et, surtout, pourquoi je n'arrive pas à apprécier le fait que je sois ce chaos ambulant ?

Voilà tout ce que passe par ma tête aujourd'hui. Je pense que j'aime autant voyager parce qu'à chaque fois, ça me fout une claque monumentale sur comment j'appréhende ma vie. C'est une remise en question que j'ai hâte et plaisir de subir à chaque fois. C'est une épreuve de feu que j'adore surmonter. Ca me fait souffrir, je m'épuise, intellectuellement, physiquement, ça ébranle mes certitudes, ça me secoue dans tous les sens, pire qu'un patient de Parkinson souffrant d'épilepsie, et au lieu de voir ça comme une maladie, moi, ça me fait plaisir. Mon âme est contente d'être sous-estimée et rabattue à chaque fois. Impressionnant. 

Alors, quand j'ai mis en route ma musique aujourd'hui, et que la première chanson à avoir été jouée par la fonction aléatoire de mon MP3 a été Valerie d'Amy Winehouse (la version acoustique), cette chanson que notre voisine de chambre à l'auberge de Galway écoutait en boucle, cette chanson que j'ai ensuite eu dans la tête toute la journée suivante à Dublin, que je chantonnais dans le Forbidden Planet, ce refrain qui a été repris, tout à fait par hasard dans un pub dans Temple Bar,  j'ai fondu en larmes, j'ai regardé par la fenêtre, et je me suis sentie tellement vide. 

 

 

morning_in_a_city

Morning in a city, John Butler Yeats. 

Je m'identifie au pauvre type perdu du milieu.

 

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